Singapour, Singapour... Tel une épopée née d'un rêve presque mythique, trouve ses racines dans une légende séculaire du XIVe siècle. Lorsque le prince Sang Nila Utama, chahuté par une tempête, posa pour la première fois le pied sur cette île inconnue au sud de la péninsule malaise, il fut accueilli par la vision fugace d'un lion, ou peut-être était-ce le Merlion, cette créature fantastique à tête de lion et à queue de sirène, aujourd'hui symbole de Singapour. Séduit par cette apparition, il décida de fonder une ville sur ce qu'il interpréta comme un signe de destin favorable. Ce lion, qu'il nomma dans l'élan de sa découverte, ne se montra plus jamais, mais la ville du lion prit racine. Des siècles plus tard, cette cité-État, abritant un foisonnement de cultures, avec l'anglais, le mandarin, le malais et le tamoul comme langues officielles, tisse le quotidien de ses habitants. Singapour illustre parfaitement ce « vivre ensemble » dans ses complexes d’habitations HDB, où se mêlent harmonieusement diversités ethnique, confessionnelle et générationnelle, un modèle de cohésion sociale. C’est un tableau vivant d’une utopie réalisée, protégée par la chimère de son emblème. Aujourd'hui, la « ville du Lion » s'élève avec audace parmi les cités les plus modernes du monde. Les gratte-ciels de Marina Bay, où les jonques débarquaient autrefois leurs marchandises, sont maintenant les sentinelles d’un horizon métamorphosé. Les projets urbains, faisant de la nature le pivot de leur aménagement, rappellent les légendaires jardins suspendus de Babylone, redéfinissant Singapour non seulement comme un hub économique, mais aussi comme un modèle de développement durable à l'échelle mondiale.
La naissance de la Cité-jardin
L'emprise colonialiste britannique a pris fin en 1958 lorsqu'ils mirent en place une constitution. Lee Kuan Yew fut alors nommé premier ministre, à la tête du parti PAP (People's Action Party), toujours au pouvoir à ce jour. En 1965, Singapour fut déclarée indépendante par le gouvernement malais. Guidé par les visions audacieuses de ses dirigeants, mené d'une main de fer, le gouvernement a pris des mesures décisives pour se réinventer comme une métropole moderne tout en préservant son patrimoine naturel. En 1967, sous l'égide du Premier ministre Lee Kuan Yew, la cité-État se lança dans une transformation majeure pour devenir une "ville-jardin". Cette initiative visait non seulement à améliorer la qualité de vie urbaine, mais aussi à attirer les investisseurs étrangers grâce à une esthétique soignée et une propreté irréprochable.
Malgré une surface au sol très limitée dans l'archipel, les politiques ont décidé d'octroyer une place significative à l'arbre en milieu urbain. Voici quelques chiffres : en France, la fosse ou le pied d'arbre représente au maximum 2m² là où Singapour offre 4m² en moyenne à ses arbres pour leur permettre d'absorber les eaux pluviales et avoir suffisamment de place pour se développer correctement.
Rétrospectivement, si l'on compare la surface au sol accordée par rapport à la surface du pays, les ratios sont édifiants, reflétant ainsi une relation à l'arbre radicalement différente entre les deux pays.
Singapour : 0,56% du territoire / arbre France : 0,0004% du territoire / arbre
De forme ronde, carrée ou rectangulaire, la corbeille de l'arbre est de taille significative, qu'elle soit neutre ou fleurie.
De plus, de nombreux pieds d'arbres sont protégés par des rembardes décoratives et/ou ornés de grilles de protection d'arbres évitant le tassement des sols et facilitant les infiltrations des eaux pluviales.
L'Aube d'une vision verte
C'est avec une campagne de plantation d'arbres démarrée en 1963 que Singapour commença à tisser son futur vert, un projet qui prit de l'ampleur avec l'officialisation du concept de ville-jardin en 1967. Les efforts étaient palpables : à la fin des années 60, plus de 55 000 arbres avaient été plantés, et cette verdoyance ne faisait que croître. Le 7 novembre 1971 marque un tournant avec la célébration de la première journée annuelle de plantation d'arbres, où 33 000 arbres supplémentaires furent ajoutés au paysage de Singapour, soulignant l'engagement de la nation envers cette transformation.
Cinquante ans plus tard, cette initiative de plantation apporte un résultat remarquable et rend Singapour la ville la plus verte du monde. Avec désormais en 2024 un quota d'un arbre par habitant, le paysage urbain propose une vue partout où le regard se pose, représentant la dualité entre la nature et l'urbanisation verticale. Les arbres sont devenus majestueux. Nous sommes loin du développement durable à la française avec des micro-pousses plantées post-COVID, décorant nos rues et avenues, donnant un aspect d'urbanisme et de ville malade avec ces troncs recouverts de bandages et soutenus par des tuteurs parfois plus épais que le tronc lui-même.
Dans le paysage de cette métropole densément peuplée, des touches de verdure émergent entre les gratte-ciels. Les projets de forêts verticales, intégrées directement dans l'architecture des bâtiments, reflètent un succès croissant, alliant développement urbain durable et respect de l'environnement. Ces initiatives verdoyantes sont devenues des symboles de réussite, témoignant de l'harmonie possible entre nature et urbanisme moderne.
Comme une fresque peinte, on observe de la végétation luxuriante à chaque strate. Du sol au ciel, les arbres sont présents. La transplantation d'arbres matures atteint une autre dimension dans cette ville où les arbres sont déplacés à la fois sur le plan horizontal, mais aussi et surtout sur le plan vertical, à des hauteurs folles. La question qui se posera en chacun de nous sera relative à leur taux de reprise sur le long terme. J'ai été interpellé personnellement par les gérants de ces immeubles/hôtels : les arbres sont là pour la plupart depuis plus d'une décennie et j'ai pu constater moi-même leur état de santé. Telle une forêt tropicale, leur couleur est d'un vert foncé plein de force, la canopée s'est certes adaptée à l'espace disponible, mais elle n'en reste pas moins épaisse et luxuriante. Les fleurs et les fruits tropicaux abondent, perchés à plusieurs centaines de mètres de hauteur (plus de détails au chapitre sur l'agriculture verticale).
Voici un exemple de rue 100 % imperméabilisée, sans aucune végétation, hormis le petit buisson à gauche apportant l'unique touche de couleur de cette rue. Cette photo illustre bien la violence d'une urbanisation extrêmement dense, dépourvue de réflexion sur la végétalisation. La présence d'arbres améliore sans conteste l'environnement d'un quartier grâce à la beauté de leurs arbres massifs qui apporte une atmosphère sereine à cette mégacité, figurant parmi les plus denses du monde.
Le changement est soutenu par des réglementations et des initiatives récentes, notamment le plan d'occupation des sols révisé en 2020 après une vaste consultation publique. Ce plan vise une symbiose accrue entre les espaces verts et aquatiques, favorisant ainsi la biodiversité et la durabilité.
Politique environnementale inclusive
La consultation publique est une pratique courante ici, illustrant une politique inclusive qui engage activement la population dans les décisions environnementales. Ce processus participatif permet aux citoyens d'influencer et de contribuer de manière significative aux initiatives écologiques, renforçant ainsi l'engagement communautaire et la responsabilité partagée envers le développement durable.
Évolution vers une intégration naturelle : Le vert dans tous ses états
Au fil des décennies, la stratégie de Singapour a évolué d'une simple esthétique à une intégration écologique plus profonde, reflétée par le passage de la "ville-jardin" à la "ville dans la nature". En 2020, le lancement du mouvement OneMillionTrees, avec l'ambition de planter un million d'arbres d'ici 2030, symbolise cette transition.
Cette initiative ne se limite pas seulement à la quantité, mais aussi à l'implantation des arbres sur un plan vertical, renforçant ainsi la dimension des forêts verticales, déjà caractéristique de Singapour. Il est courant de retrouver de la végétation sur les façades des bâtiments, de découvrir une place publique verdoyante servant de passerelle entre deux immeubles, ce qui peut nous faire perdre la notion d'espace (à quel étage sommes-nous déjà ?). Ou enfin, se promener dans un jardin tropical situé en R+12 .
Ici, les agents d'entretien d'espace vert ont un quotidien légèrement perché.
Un laboratoire du développement durable
Dans cette ville où la nature est une priorité, les Gardens by the Bay se situent juste derrière l'emblématique Marina Bay Sands. Ils abritent deux dômes gigantesques qui hébergent une imitation d'une forêt pluvieuse montagneuse et la simulation d'un écosystème subtropical aride. Positionnés entre ces deux environnements, les Supertrees Grove, tout droit sorti d'un film de SF, combine technologie, biodiversité et art en proposant chaque soir un spectacle des lumières fleuri. Fonctionnant de manière autonome en termes d'électricité et d'eau, ils servent de centres d'expérimentation pour les technologies énergétiques futures. Ce sont de véritables laboratoires pour les villes demain.
Vers 2030 : Production agricole verticale, projections et espoirs
À l'horizon 2030, Singapour se projette dans une transformation ambitieuse de son modèle agricole pour répondre à ses défis uniques en matière de superficie et de sécurité alimentaire. Historiquement dépendante des importations pour 90% de ses besoins alimentaires, la cité-État vise à produire localement 30% de sa consommation d'ici 2030. Cette initiative est résumée efficacement par Kenny Eng, qui dirige la plus ancienne exploitation agricole familiale du pays : « Pas de paysans, pas de nourriture. »
Un des projets phares de cette ambition est la ferme verticale Sky Greens. Elle représente une avancée majeure dans l'optimisation des surfaces cultivables, ayant réussi à augmenter le rendement des terres par huit, grâce à ses technologies innovantes. Cette approche n'est pas isolée, puisque l'autorité de développement urbain, URA, soutient de nombreuses initiatives écoresponsables qui se multiplient dans la métropole.
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/Aparté /
C'est beau, c'est vert, mais ça n'en reste pas moins une société très contrôlée, surveillée, où la liberté est légiféré. Voici une liste non exaustive des infraction et peine encourue les plus ubuesques :
Mâcher du chewing-gum :
Sanction : Amende allant jusqu'à 1000 SGD pour une première infraction. Amende pouvant atteindre 2000 SGD et/ou obligation de travaux d'intérêt général pour une récidive.
Ne pas tirer la chasse d'eau dans les toilettes publiques :
Sanction : Amende allant jusqu'à 150 SGD.
Jeter des déchets par terre
Sanction : Amende pouvant atteindre 2000 SGD pour une première infraction, et des peines plus sévères pour les récidivistes, incluant des travaux d'intérêt général.
Cracher dans la rue
Sanction : Amende allant jusqu'à 1000 SGD pour une première infraction.
Vandaliser des biens publics ou privés
Sanction : Peine de flagellation (coup de canne) et emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans.
Possession de drogue
Sanction : Peine de mort pour la possession de certaines quantités de drogue (ex : plus de 15g d'héroïne, 30g de cocaïne, 500g de cannabis, ou 250g de méthamphétamine).
Certains nomment cet archipel : la soft dictature. Elle a longtemps été un modèle pour certains leaders autoritaires et liberticides, tels que les présidents chinois ou de Cuba. Cette politique, menée d'une main de fer est caractérisée par un protectionnisme assumé. Pour la plus grande joie du Partie PAP, l'adhésion à la politique en vigueur est presque totale, avec peu ou pas d'opposition politique. Singapour bénéficie également d'une renommée internationale remarquable dans les domaines de la finance, de l'innovation et de l'environnement, ce qui constitue le rêve de tout dirigeant avide de pouvoir.
Reformons donc cette parenthèse et retournons à l'exploration de ces potagers aériens.
La ville voit aussi une explosion de jardins suspendus et de fermes de toit, illustrant un paysage qui rappelle les mythiques jardins suspendus de Babylone. L'organisation Edible Garden City est au cœur de ce mouvement avec plus de 260 fermes urbaines et 30.000 participants actifs, jouant un rôle crucial dans cette révolution de la néo-paysannerie urbaine.
Ce renouveau agricole va de pair avec une conception innovante des bâtiments, intégrant des jardins verticaux dès leur planification. Ces jardins ne contribuent pas seulement à l'autosuffisance alimentaire ; ils améliorent aussi l'isolation thermique des immeubles, participent au recyclage des eaux usées, et enrichissent la biodiversité urbaine en attirant une variété d'oiseaux et d'insectes. Ce faisant, Singapour redéfinit le visage de l'urbanisme moderne, où la nature et la ville coexistent en harmonie.
Green is the new black
À Singapour, l'engouement pour la verdure ne se limite pas à l'extérieur mais s'étend également à l'architecture d'intérieur, transformant des espaces ordinaires en véritables écosystèmes intérieurs. Ce concept, qui allie esthétique et bien-être, se manifeste à travers des installations telles que des forêts suspendues et des pergolas ornées de plantes grimpantes artificielles, intégrant la nature au cœur des espaces de vie et de travail. Dans un café au centre de Singapour, la décoration inclut des éléments végétaux en plastique qui créent un sanctuaire paisible pour les citadins. Plus impressionnant encore, l'hôtel PARKROYAL COLLECTION Marina Bay abrite une forêt intérieure luxuriante, offrant une expérience immersive où luxe et verdure se rencontrent.
L'intégration de la nature dans les espaces intérieurs ne se contente pas de rehausser l'esthétique; elle contribue également à améliorer la qualité de l'air et à réduire le stress, enrichissant ainsi la qualité de vie des occupants. Ces espaces verts intérieurs, qui peuvent inclure des murs végétaux et des toits jardins, jouent un rôle crucial dans la promotion de la durabilité en milieu urbain, tout en offrant des îlots de fraîcheur et de biodiversité.
Café avec une décoration végétale synthétique - Quartier Marina Bay
Forêt interieure suspendue de l'hotel 5* PARKROYAL COLLECTION Marina Bay
Singapour, en tant que pionnière de ces innovations, continue de redéfinir les possibilités de l'architecture urbaine et intérieur, prouvant que la cohabitation harmonieuse entre nature et environnement bâti est non seulement possible mais bénéfique.
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